Simplicité de la découpe et complexité du dessin

Le format de ces dessins frappe au premier regard, de même la surface restreinte qu’ils occupent dans l’espace de la page. À l’époque médiévale, on les aurait classifiés comme « miniatures » (ces figures qui participent de l’art de jouer avec les échelles). Au demeurant, ils entretiennent un rapport étroit avec l’économie de la coupe, de la découpe, avec cet art qui, pour Henri Matisse, consiste à « décanter les formes jusqu’à l’essentiel ». Découper est une opération magique. La découpe — l’une des plus importantes inventions artistiques du XX° siècle — fait apparaître une forme nouvelle tout en conservant la complexité de l’espace dans lequel et pour lequel elle a été conçue. Ces figures sont dessinées comme si elles avaient été découpées. Découpées à ce format et dans cet espace, elles constituent et se constituent en dessin. Les figures dessinées sont excentrées par rapport aux repères de la page, comme si elles avaient été exécutées les yeux fermés, comme si le support était dénué de bords et de centre. Les dessins sont en correspondance l’un avec l’autre, et leur génération, d’une page à l’autre, établit une conversation — un langage — qui se répercute, se densifie, s’amplifie au fil du carnet. Un signe — un contour, un ornement, presque rien — suffit à faire exister un dessin. Au fil de la composition le carnet se déploie telle une partition. C’est dire si les dessins se conjuguent, se répondent, comme ils pourraient figurer, en musique, un répons. Les dessins se répondent sans pour autant constituer une réponse, puisqu’il n’y a pas de question. Les éléments fondamentaux — carrés, rectangles, cercles, losanges — sont assemblés pour figurer des équilibres simples, mais aussi des accords plus complexes. Ainsi se profile la différence entre réponse et accord, simplicité de la découpe et complexité du dessin.

Alain Coulange,

Mai 2021